Quand des personnes qui consultent enregistrent leurs consultations médicales, comment gère-t-on la protection de la vie privée?
Les appareils mobiles sont aujourd’hui intégrés à notre quotidien; il n’est donc pas surprenant que certaines personnes qui consultent souhaitent enregistrer une partie ou la totalité de leurs entretiens cliniques sur leur téléphone intelligent.
Ces enregistrements audio ou vidéo peuvent être profitables pour les personnes qui consultent en les amenant à mieux comprendre leur état de santé et à renforcer leur sentiment d’engagement, voire à mieux adhérer à leur plan de soins. Cependant, l’enregistrement d’une consultation médicale en cabinet privé peut aussi soulever des préoccupations liées au respect de la vie privée des autres personnes traitées et du personnel, notamment; l’effet potentiel sur la relation thérapeutique et l’intégration de l’enregistrement au dossier médical sont aussi des enjeux à considérer.
Un certain degré de préparation s’avère nécessaire pour que les médecins puissent exploiter les avantages possibles des enregistrements et en contrer les problèmes éventuels. Les médecins doivent chercher à bien comprendre leurs obligations en matière de protection des renseignements personnels, ainsi qu’envisager l’adoption d’une politique sur les enregistrements dans leurs locaux.
Enregistrements en cabinet privé
Cet article traite de l’enregistrement de consultations médicales par des personnes qui consultent en cabinet privé. Les médecins qui travaillent en milieu hospitalier ou au sein d’autres établissements de soins de santé doivent connaître les politiques ou les initiatives relatives à l’enregistrement par des personnes traitées dans ces établissements, étant donné que ces politiques peuvent différer des aspects abordés dans le présent document.
Protection des renseignements personnels dans les espaces communs
Les personnes traitées qui enregistrent dans les espaces communs du cabinet privé de leur médecin, comme les salles d’attente, pourraient vraisemblablement enregistrer les conversations d’autres personnes ne participant pas à leurs soins. Elles pourraient ce faisant capter des renseignements permettant d’identifier d’autres personnes qui consultent ou membres du personnel, un geste pouvant conduire à des allégations d’atteinte à la vie privée à l’endroit de la ou du médecin.
De telles allégations se fonderaient sur les obligations déontologiques et légales qu’ont les médecins de protéger les renseignements personnels sur la santé des personnes qui les consultent conformément à la législation sur la protection des renseignements personnels. Les médecins ont également l’obligation de protéger les renseignements personnels de leurs effectifs. Règle générale, les renseignements personnels identificatoires ne peuvent être recueillis, utilisés, ni communiqués sans le consentement de la personne concernée, sauf lorsque la loi le permet ou l’exige.
L’ACPM a pris connaissance de dossiers où une vidéo réalisée par une personne traitée dans un cabinet privé, sans le consentement de la ou du médecin, a été publiée dans des sites web publics et dans les médias sociaux.
Effets sur la relation thérapeutique
Les personnes qui consultent peuvent avoir des raisons valables de vouloir enregistrer un entretien clinique dans un endroit privé, tel qu’une salle d’examen : elles peuvent vouloir garder un compte rendu précis des conseils reçus ou transmettre de l’information aux membres de leur famille, par exemple.
Cela dit, le fait d’enregistrer un entretien clinique sans le consentement de la ou du médecin pourrait être interprété comme un manque de confiance dans la relation thérapeutique. De plus, les malentendus au sujet des enregistrements peuvent mener à des plaintes auprès des organismes de réglementation (Collèges).
Effets sur le dossier médical
Dans chaque province et territoire, la loi exige que les médecins et les établissements de santé conservent un dossier médical pour chaque personne traitée. Un enregistrement réalisé dans le contexte de la prestation de soins est susceptible d’être considéré comme faisant partie du dossier clinique. L’enregistrement d’un entretien clinique peut aussi s’avérer précieux pour les médecins, puisqu’il s’agit probablement du compte rendu le plus précis et fiable de la rencontre; ce n’est cependant pas un substitut à la consignation de notes au dossier.
Options des médecins
Les médecins devraient se préparer à la possibilité de voir les personnes qui les consultent enregistrer leurs entretiens; il y a lieu d’envisager l’adoption d’une politique sur l’utilisation des téléphones intelligents et autres appareils d’enregistrement dans leur milieu de travail.
Toute politique mise en œuvre devrait établir une distinction entre ce qui est permis dans les espaces communs et ce qui l’est dans les endroits privés. Puisque les enregistrements réalisés par des personnes traitées dans les espaces communs d’un cabinet médical privé pourraient donner lieu à des allégations d’atteinte à la vie privée, les médecins devraient envisager la mise en œuvre d’une politique interdisant aux personnes qui consultent de prendre des photos et de réaliser des enregistrements vidéo et audio dans les espaces communs, comme la salle d’attente, où se trouvent d’autres patientes et patients et des membres du personnel.
Au minimum, les médecins devraient chercher à déterminer s’il est nécessaire d’empêcher les personnes traitées de prendre des photos et de réaliser des enregistrements vidéo et audio dans la salle d’attente ou d’autres espaces communs, pour assurer la protection de la vie privée des personnes qui consultent et du personnel. Il est également important d’informer les personnes qui consultent de la politique en vigueur; celle-ci pourra par exemple être affichée dans la salle d’attente et les salles d’examen.
Les médecins pourraient également vouloir agir de façon préventive en encourageant les personnes sous leurs soins qui souhaitent enregistrer leur entretien clinique dans un endroit privé à en discuter avec elles au préalable. L’enregistrement d’un entretien clinique au moyen d’un téléphone intelligent pourrait être utilisé dans une procédure médico-légale (dans le cadre d’une action en justice ou d’une plainte au Collège). L’idéal serait donc que médecins et personnes traitées s’entendent d’abord sur la pertinence même de procéder à un enregistrement, pour ensuite convenir de la façon dont il sera réalisé (le cas échéant) et des mesures nécessaires pour assurer la protection des renseignements personnels de toute tierce partie. La tenue d’une telle discussion à l’avance pourrait parfois être impossible, comme lorsque quelqu’un procède à un enregistrement dans une situation d’urgence. Dans de tels cas, les médecins devraient s’assurer d’aborder avec la patiente ou le patient, à un moment ultérieur adéquat, les enjeux susmentionnés.
Lorsqu’on vous demande la permission d’enregistrer un entretien...
- Demandez quels sont les motifs de l’enregistrement et ce que la personne qui vous consulte espère en tirer.
- Cherchez à déterminer s’il existe des solutions de rechange plus avantageuses (y compris limiter l’enregistrement de l’entretien à la partie la plus pertinente) et discutez-en avec la personne sous vos soins.
- Acceptez ou refusez la demande. En cas de refus, expliquez les motifs de votre décision et proposez de poursuivre l’entretien malgré tout. Si la patiente ou le patient persiste à vouloir enregistrer la consultation, il vous revient de décider si vous voulez ou non mettre un terme à la rencontre.
- Si un enregistrement est réalisé, faites-en mention dans le dossier médical et assurez-vous, si possible, qu’une copie de cet enregistrement accompagne les notes cliniques.
Les médecins doivent indiquer dans le dossier médical qu’un enregistrement a été réalisé; ils doivent aussi faire mention de certains autres détails pertinents (p. ex. durée de l’enregistrement, sujets abordés, etc.). Il convient de verser l’enregistrement au dossier médical ou d’indiquer dans celui-ci où l’enregistrement peut être consulté (p. ex. dans un dossier sur le serveur sécurisé du bureau). Les médecins doivent demander aux personnes qui les consultent de leur remettre une copie de l’enregistrement. Dans les situations où l’obtention d’une copie fiable de la part d’une patiente ou d’un patient soulève des préoccupations, les médecins pourraient offrir d’enregistrer l’entretien pour ensuite en remettre une copie à la patiente ou au patient; elles ou ils pourraient aussi réaliser simultanément leur propre enregistrement. Les médecins qui enregistrent eux-mêmes leurs entretiens avec les personnes sous leurs soins devraient au préalable obtenir le consentement éclairé des personnes en question.
Lorsque des personnes traitées mettent indûment en ligne un enregistrement réalisé dans un cabinet médical privé, diverses options existent pour tenter de retirer l’enregistrement de la circulation, selon la nature de son contenu et le site web en cause. La plupart des sites de médias sociaux offrent des outils de signalement permettant de demander un tel retrait. On encourage les membres à communiquer avec l’ACPM pour discuter de leurs options face à des circonstances particulières.
Note sur l’enregistrement d’entretiens cliniques sur téléphone intelligent par les médecins
Les personnes traitées peuvent enregistrer leurs consultations médicales sans le consentement de leur médecin, mais l’inverse n’est pas vrai. Les médecins qui veulent enregistrer un entretien clinique doivent d’abord obtenir le consentement éclairé de la patiente ou du patient, et ce consentement doit être consigné au dossier médical. Certains Collèges peuvent, à cette fin, exiger l’utilisation d’un formulaire de consentement distinct.
En bref
L’enregistrement des entretiens cliniques peut être profitable pour les personnes traitées. Cela dit, il y a tout lieu d’avoir une discussion franche sur la nécessité de procéder à un enregistrement : on évitera ainsi de nuire à la confidentialité des renseignements liés aux autres personnes qui consultent et aux membres du personnel ainsi qu’à la relation de confiance médecin-personne traitée. Lorsque les médecins estiment que la situation se prête à un enregistrement, il y a tout lieu de verser une copie de celui-ci au dossier médical.
Compte tenu des percées technologiques qui facilitent de plus en plus la réalisation d’enregistrements dans le domaine de la santé, il est d’autant plus essentiel pour les médecins d’acquérir de solides compétences en communication. Dans le Guide des bonnes pratiques de l’ACPM, les médecins trouveront des renseignements pour améliorer leur communication avec les personnes sous leurs soins.