■ Obligations et responsabilités :

Les attentes vis-à-vis des médecins

Principes fondamentaux du leadership: Une culture de responsabilisation

Groupe de médecins qui discutent à une table

9 minutes

Publié : septembre 2018

Les renseignements présentés dans cet article étaient exacts au moment de la publication

Culture juste et responsabilité civile

Cet article vise à encourager les médecins chefs de file à établir une culture organisationnelle positive dans laquelle les incidents liés à la sécurité des patients sont signalés et divulgués, et à favoriser l’apprentissage par l’expérience dans l’optique d’améliorer les soins. On y propose aussi une approche à la gestion des comportements qui privilégie la prestation de soins médicaux sécuritaires. Cette approche, toutefois, n’entend pas déterminer la responsabilité civile dans laquelle s’applique un ensemble défini de principes juridiques.

Une patiente subit une artériographie de la carotide au cours de laquelle on lui injecte de l’alcool isopropylique au lieu de la solution de contraste. Elle subit un accident vasculaire cérébral majeur et décède.

Envisagez trois autres scénarios qui auraient pu mener au même événement :

    • Scénario 1 : La technologue en radiologie se trompe en versant la solution dans le contenant stérile du plateau d’instruments parce que les flacons d’alcool isopropylique et de solution de contraste se ressemblent, et sont rangés côte à côte sur la tablette.
    • Scénario 2 : Bien que la procédure de vérification soit claire, le radiologiste et la technologue ne prennent pas le temps de confirmer qu’ils se servent de la bonne solution, car ils en sont au troisième patient de la journée, et que tout s’est bien déroulé jusqu’à maintenant.
    • Scénario 3 : La technologue a bien demandé au radiologiste de remplir la liste de vérification préintervention, mais ce dernier est pressé et refuse de vérifier si elle utilise effectivement la bonne solution.

En tant que médecin chef de file, comment réagiriez-vous à chacune de ces situations?

Comprendre que l’être humain est faillible

L’être humain a déjà été décrit comme étant « une bête sociale préoccupée par son bien-être, inévitablement faillible, en quête perpétuelle de bonheur et pour qui le libre arbitre peut ou non constituer un atout, qui ne dispose que d’une capacité approximative de cerner et d’éviter les dangers présents dans le monde qui l’entoure [Traduction libre]. »1 Pour le médecin chef de file, l’examen ou l’acceptation de cet énoncé représente la base sur laquelle construire une culture de responsabilisation. Une telle culture permet de tirer des enseignements d’incidents liés à la sécurité des patients ou d’incidents évités de justesse, et d’obtenir des résultats cliniques très fiables.

Pour créer une culture où chaque membre d’une équipe se responsabilise et s’ouvre à l’apprentissage par l’expérience, les chefs de file et les professionnels de la santé doivent d’abord reconnaître que l’être humain est faillible. La création et l’encadrement d’équipes responsables, engagées, pouvant identifier et résoudre des problèmes avant qu’un préjudice ne survienne, exigent des chefs de file qu’ils acceptent ces cinq principes fondamentaux :

  1. L’erreur est humaine.
  2. La dérive est normale.
  3. Le risque est partout.
  4. Nous gérons en fonction de nos valeurs.
  5. Nous sommes tous responsables.

Définir mission et valeurs organisationnelles

La mission est la raison d’être de l’organisation (p. ex. la prestation de soins médicaux sécuritaires), alors que les valeurs constituent les principes directeurs pour la réaliser. Les valeurs communiquent aux professionnels de la santé ce qui importe pour remplir la mission de l’organisation.

Culture ancrée dans les valeurs

Une culture de responsabilisation résulte de l’application cohérente du modèle d’une culture juste. Ce modèle se caractérise par « un système de soutien des valeurs de responsabilité partagée où les organisations sont responsables des systèmes qu’elles ont conçus et donnent suite aux comportements de leurs employés de manière juste et équitable. Les employés (et les autres intervenants du milieu de travail, y compris les médecins) sont, à leur tour, responsables de la qualité de leurs choix de comportement et de communiquer autant les erreurs que les vulnérabilités des systèmes [Traduction libre]. »2

Pour créer et entretenir une culture de responsabilisation, les chefs de file doivent clairement énoncer la mission et les valeurs de leur organisation. Les professionnels de la santé qui comprennent bien les valeurs de leur organisation pourront les concrétiser et les protéger par leurs choix de comportement, établissant ainsi le fondement de toute intervention requise par les chefs de file.

Aux prises avec des comportements indésirables au sein de l’équipe de santé, les chefs de file peuvent adopter une approche punitive, fondée souvent sur la gravité du résultat, ou une approche sans blâme où les gens ne sont pas tenus responsables de leurs comportements en raison de problèmes systémiques. En adoptant le rôle de défenseur de la culture de responsabilisation, les chefs de file souhaitent établir un équilibre entre ces deux approches.

Dans une culture de responsabilisation, trois genres de comportements humains sont reconnus comme affectant la capacité du professionnel à s’acquitter de ses devoirs envers la mission de l’organisation : l’erreur humaine, le comportement à risque et la conduite dangereuse. Les chefs de file doivent donc avoir recours à des interventions appropriées reflétant les valeurs de l’organisation.

Erreur humaine

Dans un contexte de promotion d’une culture de responsabilisation, l’erreur humaine est un geste irréfléchi qui se définit comme étant inévitable et involontaire. Par conséquent, la réponse appropriée d’un chef de file, lorsque surviennent des erreurs humaines, est de les accepter et de consoler les professionnels de la santé les ayant commises. L’acceptation des erreurs n’empêche pas toutefois l’organisation de tirer des leçons de ces événements et d’identifier des façons de réduire le risque de récurrence.

Comportement à risque

Les professionnels de la santé reçoivent généralement une formation concernant les règles et procédures de leurs organisations. Mais avec le temps, alors qu’ils acquièrent des compétences et apprennent à faire face aux demandes et aux pressions croissantes de leur milieu clinique, ils adoptent raccourcis, détours et approches intuitives dans leurs tâches quotidiennes.3 Le professionnel délaisse alors les comportements acceptés pour en adopter de plus dangereux qu’il juge plus efficients, mais qui demeurent dans le spectre de ce qui est considéré sécuritaire. Une dérive comportementale s’installe (p.ex.avoir recours à une technique propre plutôt que stérile pour une intervention mineure), ce qui est un aspect normal du comportement humain. Il s’agit d’un choix inconscient de dévier de la formation reçue, dont l’origine est une mauvaise perception du risque ou une croyance erronée que le risque est justifiable. Au fur et à mesure que les professionnels deviennent plus à l’aise avec leurs tâches, la dérive s’aggrave du fait que tout préjudice pouvant en résulter est relativement rare, ce qui occulte ainsi le lien entre la dérive et le préjudice possible.

La dérive évoque un comportement à risque. Dans une culture de responsabilisation, il est généralement reconnu que la dérive comportementale est la plus grande menace à la sécurité des patients en raison de l’inconscience qui s’y rattache et de son omniprésence dans la pratique quotidienne.

Lorsqu’un chef de file du domaine de la santé décèle un comportement à risque occasionnel, une intervention appropriée serait d’accompagner le professionnel pour qu’il revienne à une pratique sécuritaire. L’accompagnement prend la forme d’une discussion positive qui peut comprendre le signalement de la dérive, le rappel des risques et la réorientation des choix du professionnel vers des politiques et des procédures acceptables. Les comportements à risque répétés peuvent être gérés par une évaluation des facteurs qui influent sur le rendement du professionnel tout comme sur celui du système. Des mesures disciplinaires peuvent aussi être envisagées lorsque l’accompagnement n’a pas porté ses fruits et une fois que l’on a tout tenté pour modifier les facteurs liés au rendement.

L’un des plus grands défis dans la gestion du comportement à risque survient lorsqu’une dérive est repérée, mais qu’elle n’entraîne aucun incident lié à la sécurité des patients ou incident évité de justesse. Dans ces circonstances, de nombreux chefs de file adoptent l’approche selon laquelle « il n’y a pas de faute s’il n’y a pas de préjudice ». Ils n’assurent pas alors l’accompagnement requis. Une telle approche néglige les occasions d’apprentissage et pourrait même mettre en péril la culture de responsabilisation en renforçant la dérive de façon tacite. En présence d’épisodes de dérive, les chefs de file devraient saisir le plus de possibilités de fournir un accompagnement, que ces épisodes causent ou non des résultats défavorables.

Conduite dangereuse

Une conduite dangereuse représente une prise de risque intentionnelle. Il s’agit du mépris délibéré d’un risque connu, important et injustifiable. Quoique souvent flagrant, ce genre de comportement est rare et constitue donc une moindre menace pour la sécurité des patients.

Qu’un incident lié à la sécurité des patients ou un incident évité de justesse survienne ou non, la réponse appropriée d’un gestionnaire à une situation de conduite dangereuse est d’intervenir auprès du professionnel de la santé. Avant de déterminer le plan d’intervention, les chefs de file devraient envisager l’ensemble des faits et circonstances. Il pourrait y avoir des situations, par exemple, où l’avantage social découlant d’un choix délibéré de dévier de la procédure justifierait une conduite jugée dangereuse en d’autres occasions. Des facteurs comme la prise de conscience, la collaboration et l’engagement envers le changement entrent souvent en compte dans le choix de l’intervention qui s’impose.

Suivi de comportements indésirables récurrents

Quand une personne répète des erreurs ou démontre des comportements à risque récurrents ou des conduites dangereuses, des problèmes liés au système ou au professionnel sont sûrement présents. Dans ces circonstances, les chefs de file devraient cerner les facteurs qui influent sur ces comportements, puisqu’ils risquent de compromettre la prestation de soins médicaux sécuritaires.

En bref

Une culture de responsabilisation exploite les comportements qui, dans d’autres occasions, seraient jugés indésirables pour en tirer des apprentissages. Quand les chefs de file réussissent à cerner les causes d’erreur humaine, de comportement à risque ou de conduite dangereuse, ils peuvent choisir les interventions appropriées et modifier les procédures au besoin. Le système d’apprentissage n’en sera que renforcé, les membres de l’équipe plus engagés et nous pourrons compter davantage sur un système de santé fiable qui soutient la prestation de soins sécuritaires.

Ce que nous pouvons apprendre des divers scénarios

Après que le radiologiste ait rapidement divulgué à la famille l’incident lié à la sécurité des patients, l’hôpital a amorcé une évaluation de l’acte médical.

  • Le scénario 1 illustre en toute probabilité une erreur humaine. La technologue est consolée, et la recherche des facteurs contributifs mène à des changements dans l’entreposage et l’étiquetage des flacons.
  • Le scénario 2 représente un comportement à risque dans la plupart des situations. Le radiologiste et la technologue reçoivent un accompagnement au sujet de la dérive. On les informe aussi que leur choix de ne pas vérifier les solutions représente une dérive de la politique établie. On leur rappelle également les raisons et l’importance de suivre les procédures.
  • Le scénario 3 démontre une conduite dangereuse chez le radiologiste. Le chef du département de l’imagerie diagnostique amorce une enquête sur l’incident, recueillant ainsi des renseignements pour l’évaluation de l’acte médical. Le chef rencontre le radiologiste pour discuter de mesures disciplinaires possibles et pour établir des attentes claires en vue de la prochaine évaluation de rendement. Le chef a aussi rencontré la technologue qui reçoit un accompagnement sur l’importance de s’exprimer sans crainte à l’égard d’un problème et d’interrompre l’intervention, le cas échéant. L’hôpital a offert de la formation à l’équipe pour promouvoir la sécurité psychologique en radiologie.




Références

  1. Marx D. Console, coach or punish: How reactions to behavioral choices influence culture. Dans 2017 Michigan Health and Hospital Association Patient Safety and Quality Symposium; 8 mars 2017; Dearbon
  2. Griffith KS. The growth of a just culture. Jt Comm Perspect Patient Saf, 2009 Dec;9(12):8-9
  3. Amalberti R, Vincent C, Auroy, Y, et al. Violations and migrations in health care: a framework for understanding and management. BMJ Qual Saf, 2006; 15:i66-i71

AVIS : Les renseignements publiés dans le présent document sont destinés uniquement à des fins générales. Ils ne constituent pas des conseils professionnels spécifiques de nature médicale ou juridique, et n’ont pas pour objet d’établir une « norme de pratique » à l’intention des personnes exerçant une profession de la santé au Canada. L’emploi que vous faites des ressources éducatives de l’ACPM est visé par ce qui précède et l’avis de non-responsabilité de l’ACPM dans son intégralité, « Contrat d’utilisation de l’ACPM ».