Introduction
Depuis longtemps, les professionnels de la santé collaborent à la prestation de soins de santé durables et de qualité qu'ils dispensent aux Canadiens en faisant un emploi judicieux des ressources disponibles. Toutefois, comme la demande en soins de santé augmente, de nouveaux modèles font l'objet d'études. Les soins sont de plus en plus prodigués par des équipes dont les membres travaillent de concert, et font appel aux compétences du professionnel de la santé le mieux qualifié pour les soins requis. Ce nouveau modèle de prestation offre la possibilité d'obtenir de meilleurs résultats pour les patients et d'améliorer l'efficience du système dans son ensemble.
Du point de vue de la sécurité des patients, une équipe bien rôdée est apte à prodiguer des soins de qualité supérieure. Par contre, une équipe qui fonctionne mal, surtout sur le plan de la communication, ne peut qu'accroître les risques pour la sécurité des patients.
Cependant, pour que les soins concertés soient efficaces et que leurs objectifs puissent être atteints, il faut mitiger les risques pour les patients et aborder les questions de responsabilité civile et de responsabilisation des professionnels de la santé.
Ce document cerne les risques médico-légaux potentiels et propose des solutions visant à mitiger ces risques. Il aborde également les préoccupations relatives à la responsabilité civile et à la responsabilisation qui, non réglées, pourraient nuire à l'atteinte des objectifs des soins concertés. Les pratiques en équipe ont en effet plus de chances de réussir si les intérêts des patients, des professionnels de la santé et du système dans son ensemble sont bien protégés.
Qu'entend-on par soins concertés?
Définition
De nombreuses définitions sont couramment employées pour décrire les pratiques dans le cadre desquelles des professionnels de la santé travaillent ensemble pour prodiguer des soins. « Soins concertés » semble être l'appellation la plus courante, mais on emploie également de façon interchangeable les expressions « soins multidisciplinaires », « soins interprofessionnels », « soins partagés » ou « soins en équipe ».
Le Projet pour l'amélioration de la collaboration interdisciplinaire dans les soins de santé primaires (ACIS)1 en présente la définition suivante :
« La collaboration interdisciplinaire réfère à l'interaction positive de deux ou plusieurs professionnels de la santé qui offrent leurs compétences et connaissances uniques pour aider les patients/clients et leur famille à prendre des décisions concernant leur santé. »
Avantages des soins concertés
Les défenseurs des soins concertés ont identifié plusieurs avantages possibles à cette méthode de travail. Bien qu'il n'y ait pas suffisamment de preuves à l'appui de toutes leurs affirmations, un bon nombre de ces avantages pourraient être réalisables. Deux des objectifs les plus importants des soins concertés comprennent : l'optimisation de l'accès des Canadiens aux compétences et habiletés d'une gamme élaborée de professionnels de la santé, ainsi que l'amélioration des soins primaires et même des soins de santé spécialisés, en encourageant davantage et en facilitant la promotion de la santé et la prévention de la maladie.
La grave pénurie actuelle et prévue de professionnels de la santé limite pour le client l'accès à des soins en temps opportun. Les soins concertés pourraient représenter une solution aux pénuries des ressources humaines en santé, et une façon d'accroître l'accès aux soins et tout en améliorant la qualité de ceux-ci. Bien que les pratiques en équipe devraient cibler la meilleure utilisation possible des ressources humaines en santé disponibles, elles n'abordent pas les problèmes de pénuries actuelles et prévues de médecins, d'infirmières et d'autres professionnels de la santé. L'ACPM estime que les soins concertés ne peuvent seuls combler les lacunes entre l'offre et la demande des
professionnels de la santé. Il est toutefois possible, en optimisant l'utilisation des ressources existantes, que les soins concertés deviennent un élément important d'une solution plus complète à l'amélioration de l'accès aux soins pour les patients.
Situation actuelle
En 2003, le gouvernement fédéral a établi un fonds quinquennal de 16 milliards de dollars pour la réforme de la santé. L'un des objectifs de ce fonds est de veiller à ce que « d'ici 2011, la moitié des Canadiens et des Canadiennes auront accès 24 heures par jour et 7 jours par semaine à des équipes multidisciplinaires ». Bien que l'on ne sache pas exactement dans quelle mesure la pratique en équipe se soit implantée, les preuves existantes suggèrent que, compte tenu de son taux d'adoption, il sera sûrement difficile d'atteindre l'objectif visé.
Selon les recherches mandatées par l'Initiative ACIS, la composition des équipes de soins concertés dépend du genre de patient et de l'environnement dans lequel les soins sont prodigués. Les régions éloignées du Nord et les communautés autochtones ont une longue expérience des équipes de soins concertés. Ces équipes se composent souvent d'une grande diversité de professionnels et de paraprofessionnels, incluant des représentants locaux de la santé communautaire, des fournisseurs de soins de santé et de services sociaux, des travailleurs des services à la famille, des travailleurs de la santé mentale, des conseillers de personnes en deuil, ainsi que des guérisseurs traditionnels, des personnes âgées, des conseillers de bande et des membres du clergé.
Le Canada n'est pas le seul pays à poursuivre un modèle d'équipes de soins concertés dans le but d'améliorer la prestation des soins aux patients. Divers niveaux de pratiques en équipe sont en application au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe et en Australie. En examinant les initiatives implantées dans d'autres pays, il importe de tenir compte des défis que pourrait comporter le transfert possible de solutions d'un système à un autre, ces systèmes étant probablement très différents. Le gouvernement canadien, ainsi que d'autres autorités en matière de soins de santé devraient surveiller activement l'expérience des autres pays, tout en demeurant prudents vis-à-vis l'adoption d'éléments qui pourraient ne pas bien s'imbriquer dans le système canadien en général.
Responsabilisation dans les soins concertés
Il est inévitable que, lorsque des personnes sont amenées à travailler en équipe, des questions se posent sur la coordination des soins et la direction de l'équipe. Bien que chacun reconnaisse l'importance d'une communication efficace et efficiente entre tous les membres de l'équipe, certains font valoir qu'en bout de ligne, un seul professionnel devrait être responsable de toutes les décisions et actions cliniques, et qu'en toute probabilité, ce chef d'équipe serait le médecin dans le cas de soins à un patient. D'autres estiment qu'il n'est pas nécessaire d'avoir de « chef d'équipe », et que, chaque membre du groupe œuvrant dans les limites du champ d'exercice de sa propre profession, c'est l'équipe dans son ensemble qui prodigue des soins et partage collectivement la responsabilité des résultats. Un troisième point de vue veut que les professionnels de la santé autorisés par leur organisme de réglementation à prodiguer des soins à titre indépendant assument la responsabilité, et par conséquent, l'imputabilité des décisions de santé qu'ils ont prises séparément. Le médecin, par exemple, ne verrait sa responsabilité engagée que s'il a été consulté. Cette discussion soulève des points importants concernant la direction des soins, la délégation et la supervision des actes médicaux, la responsabilisation et la responsabilité civile, ainsi que la compréhension du patient en ce qui a trait à l'approche des soins adoptée par l'équipe. Les équipes qui ne peuvent répondre aux questions suivantes pourraient entraîner des risques cliniques considérables pour leurs patients et exposer individuellement les soignants à des risques médico-légaux accrus :
- Quels sont les résultats cliniques visés par l'équipe?
- Le patient demeure-t-il membre à part entière, sinon membre pivot de l'équipe?
- Existe-t-il un cadre solide de politiques et de procédures pour définir et appuyer le fonctionnement de l'équipe?
- L'équipe dispose-t-elle de ressources suffisantes pour lui permettre d'atteindre les résultats cliniques voulus?
- Existe-t-il des mécanismes d'assurance de la qualité pour surveiller le fonctionnement de l'équipe et les résultats cliniques?
- Les rôles et responsabilités de chaque membre de l'équipe sont-ils clairement définis, sont-ils fondés sur le champ d'exercice ainsi que sur les connaissances, les compétences et les habiletés de chaque personne?
- Chaque membre de l'équipe connaît-il son rôle ainsi que le rôle des autres membres de l'équipe?
- Comment seront prises les décisions cliniques? Qui aura la responsabilité des décisions en matière de prestation des soins et, par conséquent, à qui ces décisions seront-elles imputables?
- Comment l'équipe pourra-t-elle gérer les attentes et répondre aux préoccupations des patients?
- Qui sera chargé de la coordination des soins, de la gestion de l'équipe et de la mise en place de communications efficientes et efficaces entre les membres de l'équipe et entre les diverses équipes?
Pour l'ACPM, il est essentiel dans le travail d'équipe que les responsabilités et la ligne d'imputabilité soient claires afin que tous les professionnels puissent promouvoir la sécurité des patients, réduire le risque de problèmes médico-légaux et prévoir des documents auxquels se référer en cas de problèmes. Les membres de l'équipe doivent s'entendre sur leurs relations, leurs rôles et leurs responsabilités. Il est nécessaire d'établir un cadre de politiques et de procédures définissant et décrivant le fonctionnement de l'équipe de soins concertés.
Les professions réglementées possèdent déjà une solide compréhension des responsabilités, ce qui représente une base sur laquelle peuvent se développer les pratiques en équipe. Les étapes suivantes visent à ce que les politiques et les procédures définissant et décrivant le fonctionnement de l'équipe établissent un régime rigoureux de responsabilisation :
- Les organismes provinciaux/territoriaux de réglementation professionnelle de la santé devraient exiger la mise à jour du champ d'exercice de chaque profession de la santé à la lumière de l'évolution des pratiques de soins concertés.
- Ensemble, ces organismes de réglementation doivent veiller à ce que les lacunes existant entre les champs d'exercice soient minimisées.
Tout en fonctionnant dans le cadre des champs d'exercice déterminés par les organismes de réglementation, les équipes de soins concertés doivent alors établir leurs propres mesures en ce qui concerne la responsabilisation.
L'ACPM ne voit pas la nécessité d'établir un modèle type pour définir les responsabilités dans un milieu interdisciplinaire. Les responsabilités spécifiques assignées aux professionnels de la santé diffèrent déjà d'une province et d'un territoire à l'autre. Compte tenu des champs d'exercice, et d'une clause conditionnelle voulant que les responsabilités soient documentées et clairement comprises par tous les membres de l'équipe, il est probable que ces responsabilités différeront également d'un groupe de professionnels à un autre. L'importance devrait être accordée à ce qui fonctionne le mieux compte tenu des circonstances. Dans certains cas, il peut s'agir d'équipes dirigées par un médecin, où le médecin conserve une grande partie de la responsabilité des décisions cliniques déléguées à un autre professionnel de la santé2. Dans ce cas, la responsabilité incomberait en grande partie au médecin; dans d'autres cas, cela pourrait mener à la création d'équipes auto-gérées, où chaque membre de l'équipe accepte la responsabilisation et, par conséquent, la responsabilité des décisions prises indépendamment du médecin. En général, chaque membre de l'équipe demeure responsable des soins qu'il prodigue dans le cadre de l'équipe, et peut aussi être tenu responsable de son rôle dans les résultats cliniques obtenus par l'équipe.
L'atteinte des étapes explicites identifiées ci-dessus règlerait un grand nombre des problèmes de responsabilisation censés freiner le progrès. Ces étapes n'exigent pas de changement fondamental aux cadres actuels de responsabilisation, ni aux fondements conceptuels sur lesquels reposent les professions auto-réglementées. Elles nécessitent toutefois une plus grande compréhension des rôles et des responsabilités de chacun des membres de l'équipe, tels que définis par leur champ d'exercice et par l'impact de la nécessité d'une délégation ou d'une supervision par un médecin.
Une solide définition des champs d'exercice peut contribuer à mitiger les risques en matière de responsabilisation entraînés par la pratique en équipe de membres de professions de la santé réglementées. La situation devient toutefois beaucoup plus compliquée lorsque l'on introduit des soignants de professions non réglementées dans l'équipe. En effet, le recours à des membres de professions non réglementées exerçant au sein d'équipes de soins concertés soulève d'importantes questions sur les risques pour les médecins, les autres membres de professions réglementées et leurs patients. Les préoccupations possibles associées aux fournisseurs de soins provenant de professions non réglementées ne devraient cependant pas entraver le recours à des équipes de soins concertés composées de membres de professions réglementées.
Questions de responsabilité civile
La crainte d'une augmentation de la responsabilité civile médicale est souvent citée comme étant un obstacle à la participation des professionnels de la santé à des pratiques en équipe. Jusqu'à maintenant, il semble n'y avoir eu qu'une action limitée pour chercher à surmonter cet obstacle perçu. L'ACPM estime que le même système de responsabilité civile médicale protégeant actuellement les intérêts des patients et des soignants peut aussi servir à protéger les pratiques en équipe.
Il est premièrement impératif que tous les professionnels de la santé disposent d'une protection adéquate en matière de responsabilité civile. Présentement toutefois, une telle protection obligatoire n'est pas exigée par la loi dans plusieurs provinces ou territoires, et ne s'applique pas à plusieurs professions. Un cadre prévu par la législation, dans lequel tous les professionnels de la santé doivent, pour exercer, détenir et maintenir une protection adéquate en matière de responsabilité civile médicale permettrait d'éliminer un obstacle important. Ceci aurait des répercussions majeures sur le modèle actuel de soins de santé, et un impact encore plus grand sur le modèle fondé sur des équipes de soins concertés.
Avant que cette situation ne s'impose, chaque membre de l'équipe devrait s'assurer que les autres professionnels de la santé de l'équipe détiennent une protection adéquate en matière de responsabilité civile médicale. Pour ceux disposant d'une protection sur la base de réclamations, il leur faudrait également une protection pour actes antérieurs (aussi appelée clause de garantie prolongée) qui les protégerait en cas de réclamations présentées parfois plusieurs années après la date à laquelle les soins médicaux ont été prodigués. Il existe plusieurs sources de protection en matière de responsabilité civile pour les professions réglementées de la santé. Par exemple, les médecins peuvent obtenir une protection en adhérant à l'ACPM ou en souscrivant une assurance commerciale. Les infirmières peuvent pour leur part obtenir une protection par l'entremise de la Société de protection des infirmières et infirmiers du Canada (SPIIC) ou, en Colombie-Britannique et au Québec, par l'entreprise de fournisseurs locaux. Pour les équipes hospitalières, les membres d'une équipe qui sont employés par l'hôpital sont normalement indemnisés par l'assureur de leur employeur.
Chaque membre d'une équipe devrait, individuellement ou en collaboration avec ses collègues, examiner soigneusement ce qui constitue une protection adéquate. Comme le modèle de soins concertés peut faire appel à plusieurs professions assumant des responsabilités qui relevaient auparavant d'autres professionnels (les médecins, en général), ces professionnels et leurs employeurs doivent ajuster le niveau de leur protection afin que celui-ci reflète le risque plus élevé qu'ils assument. Dans de nombreux cas, ces risques plus élevés peuvent entraîner une augmentation des coûts de la protection en matière de responsabilité civile médicale, et les autorités qui assurent le financement de la protection devraient en tenir compte. L'omission d'en tenir compte pourrait détourner ces professionnels de la pratique en équipe ou, ce qui serait tout aussi négatif, pourrait les encourager à s'y adonner sans disposer d'une protection adéquate.
Depuis longtemps, les médecins sont exposés à la notion de la responsabilité civile solidaire et conjointe (lorsque plus d'une partie est responsable d'avoir causé un préjudice à une autre, alors que le demandeur peut obtenir une indemnité complète des « portefeuilles les mieux garnis », même lorsque cette indemnité est démesurée par rapport au degré de responsabilité). D'après le modèle des soins concertés, les risques de la responsabilité civile solidaire et conjointe s'appliqueront également aux autres professionnels, qui devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour être protégés adéquatement contre ces risques.
La responsabilité civile du fait d'autrui est un risque qui se pose lorsque des professionnels de la santé sont employés par une personne ou toute autre entité reconnue par la loi (telle une corporation ou une société de personnes). L'employeur (par exemple, un hôpital, un médecin ou un groupe de médecins) peut être tenu responsable de la négligence professionnelle de ses employés. La responsabilité civile du fait d'autrui peut également s'étendre à d'autres membres d'une équipe de soins concertés, dépendant de la composition et du mode de fonctionnement de celle-ci.
Les risques énumérés ci-dessus ne devraient toutefois pas entraver les soins concertés. La publication en 2005 d'un Énoncé commun de l'ACPM et de la SPIIC sur la protection en matière de responsabilité professionnelle des infirmières praticiennes et des médecins en pratique en équipe constitue un exemple d'une approche positive à de nombreuses préoccupations. Cet énoncé conseille aux médecins et aux infirmières en pratique en équipe d'obtenir une protection et/ou une assurance appropriée et adéquate en matière de responsabilité professionnelle, et de veiller à ce que les autres membres de l'équipe soient également suffisamment protégés. Il présente un modèle éprouvé sur lequel s'appuyer.
Un élément important, bien que rarement mentionné, venant appuyer les soins concertés est celui de surveiller que les organismes de réglementation et les autorités judiciaires chargés de l'application des cadres de responsabilisation et de l'attribution de la responsabilité connaissent bien l'évolution de la nature de la prestation des soins de santé et des rôles et responsabilités des professionnels de la santé. Ces organismes et les tribunaux doivent s'adapter aux circonstances changeantes au même titre que les professionnels de la santé et les patients. MM. Lahey et Currie3 ont abordé cette question en précisant qu'actuellement, les tribunaux « prennent connaissance » des changements systémiques qui surviennent dans la pratique professionnelle au cas par cas, lentement, graduellement et de façon conservatrice. Néanmoins, la reconnaissance par l'ordre judiciaire des circonstances et de la complexité des soins interdisciplinaires représente un ingrédient important d'une mise en oeuvre réussie.
La perspective non corroborée selon laquelle les problèmes de responsabilité civile entravent la mise en œuvre des soins concertés a poussé certains groupes ainsi que quelques personnes à soulever l'hypothèse de la nécessité d'apporter des changements majeurs au système de responsabilité civile médicale. Une telle approche serait malavisée, sans fondement et pourrait même entraîner des risques pour le système dans son ensemble.
Autres modèles de protection en matière de responsabilité civile
Deux autres modèles sont souvent mentionnés comme options possibles pour aborder les questions de responsabilité liées aux soins concertés.
Modèle de responsabilité d'entreprise
Un modèle de responsabilité d'entreprise fonctionne selon le principe qu'il n'existe aucune responsabilité civile individuelle des membres d'une équipe. La responsabilité est plutôt évaluée par rapport à l'équipe dans son ensemble.
Le Conseil canadien de la santé souligne que les traditions des organismes de réglementation et des assureurs du Canada sont axées sur la responsabilité civile individuelle et que le pays ne possède que peu d'expérience en ce qui a trait aux structures dans lesquelles les équipes sont tenues responsables des décisions cliniques. Cette affirmation risque en fait de sous-estimer la situation car la loi ne reconnaît pas les équipes comme étant des entités pouvant faire l'objet de poursuites. Les cadres juridiques actuels sont fondés sur la capacité juridique d'une personne et d'entités légalement constituées telles que des corporations et des sociétés de personnes; il n'existe aucune reconnaissance juridique d'une « équipe » sans personnalité morale.
Pour que la responsabilité civile d'une équipe puisse être reconnue, il faudrait modifier les textes de loi canadiens, ce qui de l'avis de l'ACPM n'est pas nécessaire. Un tel processus serait des plus perturbateurs et coûteux en temps. Le système actuel tient compte efficacement de la responsabilité médicale dans le cadre des soins concertés, pourvu que tous les professionnels de la santé aient un champ d'exercice bien défini et bien compris, et que tous les membres d'une équipe traitant des patients détiennent en leur nom propre une protection adéquate en matière de responsabilité professionnelle, couvrant tant leur contribution individuelle aux soins du patient que leur contribution en tant que membre de l'équipe.
Les défenseurs du modèle de responsabilité d'entreprise ne reconnaissent pas pleinement l'incidence éventuelle qu'aurait l'élimination de la responsabilité professionnelle individuelle. En effet, la responsabilité professionnelle individuelle contribue de façon notable à la sécurité des patients et à la confiance que le public accorde à la profession. Ce cadre propre à chaque profession reflète la norme de diligence appropriée aux champs d'exercice respectifs. Il semblerait que toute suggestion d'élimination de la responsabilité civile individuelle irait contre le but visé en entraînant aussi l'élimination de la responsabilisation individuelle.
Modèle sans égard à la responsabilité
Une autre solution proposée par certains partenaires est l'indemnisation « sans égard à la responsabilité ». Le rapport de 2006 du Conseil canadien de la santé intitulé Le renouvellement des soins de santé au Canada : Frayer la voie de la qualité recommande l'examen de l'indemnisation sans égard à la responsabilité pour les victimes d'événements indésirables4.
Dans un document récent5, l'ACPM a décrit les limites des systèmes sans égard à la responsabilité en ce qui a trait à leur viabilité financière, à leur capacité à indemniser les patients lésés et au lien avec les cadres de responsabilisation nécessaires. Ce document établit également que les systèmes sans égard à la responsabilité ne sont essentiellement pas plus favorables que d'autres systèmes à la sécurité des patients et à l'analyse des causes profondes des événements indésirables. Un modèle sans égard à la responsabilité n'est donc pas nécessaire pour faire progresser les soins concertés étant donné qu'il existe déjà dans le système actuel des mécanismes6 pour appuyer ces pratiques.
Résumé
Enjeux pour les décideurs
Les textes de loi devraient exiger que l'octroi du permis d'exercice pour tous les professionnels de la santé soit assujetti à une protection adéquate en matière de responsabilité professionnelle.
Les organismes de réglementation de chaque profession de la santé doivent s'assurer que les champs d'exercice établis sont adaptés pour mieux refléter la responsabilisation des membres individuels de l'équipe dans le cadre de l'approche aux soins concertés.
La responsabilisation et la responsabilité professionnelle des fournisseurs de soins de santé réglementés et non réglementés travaillant en équipes multidisciplinaires posent des défis et demandent à être examinées soigneusement.
Il y a lieu de décourager les efforts déployés en vue de modifier les textes de loi actuels dans le but d'y introduire la notion de la responsabilité civile de l'équipe plutôt que la responsabilité individuelle, compte tenu du fait qu'une « équipe » n'a aucune capacité juridique, et que tout changement en ce sens serait fortement perturbateur et absorberait beaucoup de temps.
Le présent système de responsabilité civile médicale appuie la pratique en équipe et pourrait être amélioré si l'on y apportait quelques ajustements facilement réalisables. Il n'est pas nécessaire de risquer la viabilité du système de soins de santé canadien en introduisant d'autres modèles comme celui sans égard à la responsabilité ou celui de la responsabilité d'entreprise.
Enjeux pour les professionnels de la santé
Les professionnels de la santé devraient comprendre clairement le champ d'exercice des autres personnes avec lesquelles ils travaillent.
Lorsqu'il y a chevauchement des champs d'exercice au sein d'une équipe, il devrait exister une délimitation bien documentée des responsabilités de chacun.
La responsabilité générale des décisions cliniques devrait être précisée clairement et comprise par
tous les membres de l'équipe.
Une communication efficace et efficiente au sein de l'équipe, avec le patient et entre diverses équipes prendra une importance accrue; cette communication devrait être accompagnée par une solide documentation des soins prodigués.
Chaque professionnel membre de l'équipe a une responsabilité envers les autres membres d'obtenir une protection adéquate en matière de responsabilité civile. Pour les professionnels acceptant des responsabilités élargies, ceci signifie la nécessité d'une plus grande protection que celle qu'ils détiennent actuellement.
Chaque membre de l'équipe devrait également vérifier que les autres ont une protection adéquate en matière de responsabilité professionnelle.
Conclusion
Les soins concertés ont le potentiel d'améliorer grandement la prestation des soins de santé au Canada. En faisant une utilisation judicieuse de tous les professionnels de la santé, la pratique en équipe devrait pouvoir améliorer l'accès pour les patients à certains types de soins et permettre de prodiguer ces soins de manière plus efficiente. Toutefois, comme pour tout changement majeur, il faut aborder cette nouvelle approche tant avec enthousiasme qu'avec prudence.
Bien que certaines personnes aient suggéré que les préoccupations relatives à la responsabilité civile médicale constituent un obstacle à la mise en œuvre des soins concertés, l'ACPM estime que, quoiqu'il demeure des points importants à régler, les principaux éléments de solution existent déjà dans le système actuel de responsabilité civile médicale. Les pouvoirs publics, les tribunaux, les organismes de réglementation et les fournisseurs de protection en matière de responsabilité professionnelle sont bien positionnés pour prendre des mesures facilement réalisables en vue de résoudre les problèmes relatifs à la responsabilité et à la responsabilisation professionnelles. Le temps est venu pour eux de prendre ces mesures.
Également, les professionnels de la santé doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mitiger leurs risques et calmer les appréhensions liées à la responsabilisation et à la responsabilité professionnelle. Il est primordial pour eux de surveiller que les rôles et les fonctions de chaque membre de l'équipe soient clairement compris par tous, y compris par le patient, et qu'ils soient appuyés par un cadre politique et méthodologique bien établi. Cela permettra non seulement de réduire les risques de responsabilité civile, mais aussi de réduire la probabilité d'événements indésirables causés par la confusion ou l'ambiguïté. En tant que membres d'une équipe, les professionnels de la santé ont aussi une responsabilité l'un envers l'autre de veiller à ce que chacun ait une protection adéquate en matière de responsabilité civile médicale. Les circonstances détermineront ce qui doit être considéré comme adéquat en matière de protection.
L'ACPM s'est engagée à travailler avec ses partenaires pour appuyer la promotion des soins concertés. L'Association est également déterminée à identifier et à réduire les risques inhérents aux soins concertés et à veiller à ce que les discussions sur la responsabilité civile médicale soient fondées sur des faits afin que les modèles novateurs de prestation des soins de santé, comme la pratique en équipe, ne soient pas entravés par un manque de connaissances ou par des craintes sans fondement.
Références
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Amélioration de la collaboration interdisciplinaire dans les soins de santé primaires. Principes et cadre de la collaboration interdisciplinaire dans les soins de santé primaires (septembre 2005). http://www.eicp.ca/fr/principles/march/acis-principes-et-cadres-mars.pdf (dernier accès mai 2010)
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Ontario College of Family Physicians. Family Physicians and Public Policy: The Light at the End of the Tunnel. http://www.cfpc.ca/local/files/Communications/Current%20Issues/FamPhysAndPublicPolicyOct5-05.pdf (disponible en anglais seulement) (dernier accès mai 2010)
Santé Canada. Formation interprofessionnelle pour une pratique en collaboration centrée sur le patient : un cadre conceptuel évolutif (février 2004).
Solugik Affaires publiques. Background Research Report prepared for the Multidisciplinary Collaborative Primary Care Project. (décembre 2004). http://www.mcp2.ca/english/Bkgrd_Research_Rept_Final.pdf (disponible en anglais seulement) (dernier accès mai 2010)
W. Lahey & R. Currie, « Regulatory and Medico-Legal Barriers to Interdisciplinary Practice », Santé Canada, 2004
- L'Initiative ACIS est administrée par un comité directeur représentant dix associations nationales de soins de santé (incluant l'Association médicale canadienne et le Collège des médecins de famille du Canada) ainsi que par une coalition de soins de santé. L'Initiative ACIS est financée par le Fonds pour l'adaptation des soins de santé de Santé Canada. La définition présentée est tirée des Principes et cadre de la collaboration interdisciplinaire dans les soins de santé primaires.
- Au Québec, seuls les actes autorisés en vertu des lois qui encadrent les professionnels de la santé peuvent être accomplis par ces derniers, conformément aux exigences précisées, s’il y a lieu. Par conséquent, les médecins ne peuvent demander à d’autres membres d’une profession de la santé d’accomplir un acte réservé que si ces derniers sont autorisés à le faire en vertu des lois régissant l’exercice de leur profession.
- W. Lahey et R. Currie, « Regulatory and medico-legal barriers to interdisciplinary practice » (obstacles réglementaires et médico-légaux influant sur la pratique interdisciplinaire), Santé Canada, 2004
- Un événement indésirable se rapporte à un préjudice causé au patient dans le cadre de la prestation de soins de santé plutôt que par l'affection sous-jacente.
- La responsabilité médicale au Canada : Vers un juste équilibre des pratiques, 2005.
- Le rapport de Lahey et Currie sur les obstacles médico-légaux et réglementaires actuels à la pratique en équipe s'entend sur le fait qu'un changement de cap vers un système sans égard à la responsabilité entraînerait des transformations complexes et profondes et représente un « moyen brusque et exagéré » d'aborder les problèmes liés aux soins concertés.