Au cours d’un inventaire de routine de la réserve de médicaments de la clinique, l’assistant médical remarque avec stupéfaction que presque tout l’approvisionnement d’oxycodone a disparu. Il vous fait part de la nouvelle à la fin d’une journée qui s’est révélée passablement occupée. Vous (qui êtes gestionnaire et copropriétaire de la clinique) lui demandez alors de procéder à un bilan comparatif des ordonnances du mois. Résultat : il manque effectivement des fioles. Que devriez-vous faire?
Quand les médecins savent comment intervenir en cas d’activités illégales possibles liées à des médicaments qu’ils ont prescrits ou dont ils ont la garde, ils sont mieux préparés à résoudre le problème efficacement et risquent moins de connaître des problèmes médico-légaux. C’est pourquoi les médecins devraient connaître leurs obligations, notamment en ce qui a trait aux mesures raisonnables à prendre pour mieux prévenir le détournement de médicaments d’ordonnance – c.-à-d. le transfert de médicaments de provenance légale vers le marché des drogues illicites – ainsi qu’aux activités frauduleuses qui y sont associées.
En choisissant la démarche à mettre en œuvre, les médecins doivent se rappeler qu’ils sont tenus de protéger la confidentialité des renseignements sur la santé des patients. De fait, en divulguant à la police des renseignements qu’ils ne sont pas autorisés à communiquer, les médecins peuvent s’exposer à une plainte auprès de l’organisme de réglementation de la médecine (Collège) ou d’un commissariat à la vie privée.
Comme l’obtention de médicaments contrôlés n’est licite que sur ordonnance médicale, les médecins se trouvent parfois à la jonction de la médecine et de la loi. Le détournement de médicaments d’ordonnance s’effectue par vol, falsification d’ordonnances ou obtention de multiples ordonnances auprès de divers médecins.
Qu’est-ce qu’un médicament contrôlé?
Au Canada, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances1 énumère les produits définis comme étant des médicaments contrôlés et d’autres substances. Ce sont en général des médicaments qui peuvent avoir un effet néfaste sur la santé et le bien-être d’une personne, de même que des substances prescrites par des praticiens autorisés et vendues en pharmacie et en dispensaire pour des traitements médicaux légitimes. La possession de ces substances n’est légitime qu’au moyen d’une ordonnance ou d’une autre autorisation légale.
Perte ou vol de médicaments
Les médicaments contrôlés doivent être entreposés de façon sécuritaire pour réduire les risques de vol. La perte ou le vol de ces médicaments doivent être signalés au Bureau des substances contrôlées de Santé Canada dans les 10 jours du constat. Les médecins peuvent aussi informer la police de la perte ou du vol en question. En décrivant l’incident au Bureau des substances contrôlées et aux services policiers, ils doivent toutefois se garder de fournir des renseignements identificatoires concernant des patients.
Perte ou vol de bloc d’ordonnances
Lorsque les médecins soupçonnent qu’un bloc d’ordonnances leur a été volé, ils devraient communiquer avec l’ACPM et consulter les avis ou politiques émis par leur Collège à cet égard. Ils peuvent aussi en aviser la police. En décrivant l’incident aux services policiers, ils doivent toutefois prendre soin de ne pas fournir de renseignements identificatoires concernant des patients.
Dans certaines provinces ou certains territoires, les programmes de surveillance des ordonnances (PSO) exigent l’utilisation de blocs d’ordonnances dotés de multiples copies papier : une pour la pharmacie, une pour la prescriptrice ou le prescripteur et une pour le PSO à des fins de traçabilité. Les médecins peuvent être tenus de signaler le vol ou la perte de tout formulaire d’ordonnance au PSO ainsi qu’à d’autres organismes, dont le Collège. De même, les ordonnances électroniques sont soumises directement au PSO et à la pharmacie : cette procédure permet de recueillir les données rapidement et de réduire les risques de fraude.
Consultation de divers médecins
Lorsqu’ils sont avisés par d’autres professionnels de la santé (p. ex. pharmaciens) que des patients tentent d’obtenir des médicaments contrôlés auprès de divers praticiens, les médecins peuvent en parler aux patients en question si, ce faisant, ils ne s’exposent pas (ou n’exposent pas autrui) à un danger. Ils peuvent en outre consulter d’autres médecins traitants, mais s’ils étendent l’avis aux pharmacies et aux services policiers, ils pourraient manquer à leur devoir de confidentialité. Si des patients sont soupçonnés d’avoir obtenu des médicaments auprès d’autres praticiens, leur médecin devrait, avant de prescrire ou de renouveler une ordonnance, leur demander s’ils ont cherché à obtenir ou déjà obtenu un médicament contrôlé auprès d’une ou d’un autre médecin dans les 30 jours précédents.
Des soupçons à l’égard d’un trafic de médicaments d’ordonnance peuvent créer des tensions dans une relation thérapeutique. Selon les circonstances, il se peut que vous vouliez mettre fin à cette relation, notamment si la patiente ou le patient persiste à ne pas coopérer ou si le lien de confiance a été brisé. Les médecins devraient être au fait des politiques ou des lignes directrices de leur Collège sur les mesures à prendre pour mettre fin à une relation thérapeutique.
Comment réagir aux enquêtes
Il se peut, à l’occasion, que la police ou une pharmacie communique avec des médecins pour vérifier l’information consignée sur une ordonnance. Dans ces circonstances, les médecins devraient avant toute chose demander à voir l’ordonnance en question. Leur réponse devrait se limiter à confirmer l’authenticité de la signature, c’est-à-dire si elle a bel et bien été apposée par la ou le médecin en question.
L’ACPM encourage ses membres à communiquer avec elle pour obtenir plus de précisions avant de divulguer des renseignements à la police.
Surveillance des ordonnances
Chaque province et chaque territoire possède une forme de PSO. Ces programmes surveillent les activités de distribution de médicaments d’ordonnance aux patients non hospitalisés, recueillant ainsi de l’information sur les prescripteurs, les pharmaciens et les patients associés à chaque ordonnance. Certains systèmes permettent aussi d’identifier la personne qui vient chercher le médicament.
Normalement, le PSO alerte en temps réel la pharmacie (et dans certains cas la ou le médecin) lorsqu’une activité inhabituelle est détectée. Dans certaines provinces ou certains territoires, les membres du cercle de soins peuvent aussi avoir accès de façon proactive aux données du PSO. Ce processus guide la prise de décision clinique et l’évaluation du risque, y compris sur la façon de prescrire et de délivrer un médicament contrôlé. Or, dans d’autres provinces ou territoires, les médecins et les pharmacies n’ont pas accès au profil pharmacologique des patients au point de prestation des soins par l’intermédiaire du PSO. Dans ces situations, les médecins doivent se référer au dossier de santé électronique, s’il est accessible.
En bref
- Signalez la perte ou le vol d’une substance contrôlée au Bureau des substances contrôlées de Santé Canada dans les 10 jours du constat.
- Si vous soupçonnez un détournement de médicaments d’ordonnance ou d’autres activités frauduleuses liées aux ordonnances, vous pouvez en parler directement avec la personne concernée. Toutefois, faites-le seulement si, ce faisant, vous ne vous exposez pas (ou n’exposez pas votre personnel) à un danger.
- Si un membre de votre patientèle est soupçonné de fraude d’ordonnance, il importe de respecter la confidentialité des renseignements sur sa santé. Si en revanche la personne ne fait pas partie de vos patients, la confidentialité n’est pas en jeu; vous pouvez alors signaler la situation à la police, s’il y a lieu, à moins qu’un tiers (p. ex. la pharmacie) ne l’ait déjà fait. Il y a lieu de noter que les médecins n’ont pas l’obligation de faire un tel signalement aux forces de l’ordre.
- L’ACPM encourage ses membres à communiquer avec elle pour obtenir des conseils personnalisés s’ils s’interrogent quant à la procédure à suivre dans les cas de trafic de médicaments d’ordonnance.
Référence
- Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19