Deuxième édition - 2017
Ce guide apporte une perspective sur des concepts et principes médico-légaux fondamentaux, ainsi que de bonnes pratiques pouvant aider les médecins chefs de file dans leur travail avec d’autres médecins, et dans des organisations du domaine de la santé.
Introduction
Les médecins sont souvent des leaders au sein de leurs équipes interprofessionnelles, de leurs établissements et organisations de soins de santé et de leur communauté. Que le médecin joue un rôle de chef de file à titre officiel, comme chef d’un département hospitalier, ou à titre non officiel comme résident encadrant une session d’éducation médicale, ce rôle est associé à d’importantes responsabilités et obligations.
Ce guide apporte une perspective sur des concepts et principes médico-légaux fondamentaux, ainsi que de bonnes pratiques pouvant aider les médecins chefs de file dans leur travail avec d’autres médecins, et dans des organisations du domaine de la santé. Il s’agit également d’une ressource sur les questions médico-légales auxquelles les médecins chefs de file peuvent être confrontés, quel que soit leur environnement de travail.
Ce guide n’aborde pas les problèmes administratifs, tels que les questions liées à la gestion financière et à la gouvernance, aux ressources, aux titres de compétence et à la planification qui peuvent être soulevées dans les hôpitaux et d’autres organisations. Pour toutes ces questions, les médecins chefs de file peuvent consulter les ressources offertes par leur établissement ou par l’association médicale, la fédération ou l’association des hôpitaux de leur province ou territoire.
En tant que principal fournisseur de protection en matière de responsabilité médicale, l’ACPM soutient les médecins chefs de file qui font face à divers problèmes médico-légaux dans le cadre de la prestation de soins médicaux. L’ACPM s’efforce également d’éduquer et de conseiller les membres sur les aspects médico-légaux généralement liés au rôle de médecin chef de file.
Ressources pour les médecins chefs de file
L’ACPM encourage les médecins qui assument ou cherchent à assumer un rôle de chef de file, à utiliser les vastes ressources offertes dans leur province ou territoire par les associations dans les domaines médical et des soins de santé ou par celles présentes au sein des hôpitaux et universités. On peut notamment citer la Société canadienne des médecins gestionnaires, l’Association des Conseils des Médecins, Dentistes et Pharmaciens du Québec (ACMDP), l’Association médicale canadienne (Institut de leadership des médecins de l’AMC) et le Canadian Health Leadership Network qui offrent renseignements, outils et soutien sur le sujet. Par ailleurs, l’Association des hôpitaux de l’Ontario a publié le Physician Leadership Resource Manual. Certains hôpitaux et certaines autorités régionales en matière de santé ont également élaboré leurs propres programmes de leadership médical qui soutiennent encore davantage les médecins chefs de file.
Ces derniers sont aussi encouragés à consulter le Guide médico-légal à l’intention des médecins du Canada de l’ACPM qui décrit les diverses attentes et exigences médico-légales imposées aux médecins par la législation canadienne. Ce guide, et d’autres ressources utiles, sont accessibles sur le site web de l’ACPM.
Compétences de leadership
Les exigences croissantes auxquels les médecins sont confrontés accentuent la nécessité de disposer de médecins chefs de file efficaces. Ces derniers sont en mesure de définir une vision, de prendre de bonnes décisions et de montrer l’exemple en ce qui a trait à leurs relations avec les autres, y compris les patients, les collègues et les administrateurs.
Ils se doivent d’être réfléchis et conscients de l’incidence de leurs actions sur les autres. La conscience de soi permet également aux médecins chefs de file de reconnaître leurs forces et d’identifier les domaines susceptibles d’être améliorés.
Les médecins chefs de file qui réussissent disposent d’excellentes aptitudes en communication pour collaborer avec d’autres et pour comprendre différents points de vue, développer une relation de confiance et gagner le respect au sein de leur organisation. Une communication solide et efficace permet aux efforts d’encadrement et d’influence d’un médecin d’avoir plus impact, que celui-ci soit directeur général, médecin-chef, directeur des services professionnels, vice-président des affaires médicales, directeur médical, responsable d’un service ou encore président d’un comité.
Un des aspects importants du rôle de médecin chef de file est la participation à des échanges difficiles, notamment ceux ayant trait au comportement ou aux habiletés en communications interpersonnelles d’un collègue. Les discussions avec des collègues et des administrateurs sur des sujets litigieux ou controversés peuvent poser des défis en dépit d’une expérience des échanges dans le domaine clinique. Les médecins chefs de file devraient donc évaluer en permanence leurs compétences en communication et inciter les autres à développer ces mêmes compétences.
Promotion des soins de santé par les médecins
La promotion de la santé fait partie intégrante du rôle de médecin; cela étant d’autant plus pertinent pour les médecins chefs de file. La promotion de la santé est reconnue comme étant au cœur de l’exercice de la médecine comme en témoigne le Code de déontologie1 de l’Association médicale canadienne, le Cadre CanMEDS2 du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et les Rôles CanMEDS-Médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada3.
Les médecins peuvent défendre les intérêts des patients et promouvoir les soins de santé aux niveaux communautaire, régional ou au niveau du système de soins de santé dans son ensemble. Même si la promotion des soins de santé devrait être encouragée, tous les médecins devraient s’interroger sur la pertinence d’une telle promotion, ainsi que sur leur rôle. Dans certains cas, une incertitude quant aux approches ou au niveau approprié de promotion de la santé peut conduire à des malentendus et des conflits (p. ex., des accusations d’outrepasser les limites ou de comportements inappropriés).
Avant de participer à toute activité publique de promotion des soins, les médecins chefs de file devraient envisager la nécessité d’en discuter avec les personnes concernées : le patient, les autres professionnels de la santé, l’hôpital ou l’autorité en matière de santé. Le consentement du patient devrait être obtenu lorsque des renseignements personnels sur sa santé font l’objet d’une discussion en dehors du cercle de soins.
Les médecins chefs de file devraient connaître et suivre les politiques ou lignes directrices de leur organisation sur le rôle des médecins à l’égard des activités de promotion des soins de santé. En règle générale, les hôpitaux exigent que les médecins avisent les services administratifs avant de se lancer dans des activités de promotion de la santé dont on pourrait croire qu’elles se tiennent au nom de l’hôpital. Lorsqu’ils s’expriment en public, les médecins doivent clairement indiquer si leurs commentaires se font à titre personnel ou au nom d’un patient, de l’hôpital ou d’une autorité en matière de santé.
L’ACPM reconnaît qu’il peut être difficile de déterminer ce que représente une promotion de la santé appropriée. Toutefois, l’Association estime que les médecins doivent continuer de s’engager dans le processus décisionnel en matière de soins de santé et défendre de manière professionnelle le système de soins et les intérêts des patients, le cas échéant. Une collaboration renforcée et des résultats positifs sont généralement obtenus grâce à une discussion respectueuse avec les patients, les collègues, d’autres professionnels de la santé ou des administrateurs.
Justice naturelle et processus impartial
Les questions liées à un processus impartial lors d’enquêtes ou de mesures disciplinaires à l’égard de médecins occupent une place importante dans les dossiers de l’ACPM concernant les médecins et les hôpitaux ou les autorités en matière de santé. Ceci souligne la nécessité pour les médecins chefs de file d’être informés des règlements, des politiques et des procédures de leur organisation en matière d’investigation et de discipline. Leur statut de chefs de file signifie également qu’ils jouent souvent un rôle important en veillant à ce que les politiques et règlements soient cohérents et appliqués de manière appropriée.
Principes et droits
L’équité procédurale4 est offerte à tout médecin faisant face à des procédures administratives. Les principes de justice naturelle et de processus impartial exigent que les décideurs suivent des procédures appropriées au moment d’enquêter et de se prononcer sur des plaintes ou des problèmes concernant un médecin, ainsi qu’à tenir des audiences pouvant mener à des mesures disciplinaires.
Les médecins faisant l’objet d’une enquête ou d’une mesure disciplinaire engagée par un hôpital ou une autorité en matière de santé devraient bénéficier de protections procédurales, qui sont présentées plus en détail à la section « Plaintes ».
En s’assurant que les processus sont suivis et que les protections sont respectées, les médecins chefs de file peuvent gérer plus efficacement les risques médico-légaux ainsi que les problèmes et différends qui peuvent se produire dans leur organisation.
Règlements de l’hôpital
Les règlements de l’hôpital encadrent la prestation des soins par les médecins et les autres professionnels de la santé. Les médecins chefs de file devraient au moins connaître les règlements de leur organisation, y compris toute modification proposée, et être prêts à mettre en œuvre les procédures qui y sont décrites.
Privilèges et contrats
Il est important que les médecins chefs de file comprennent les droits qui doivent être accordés aux médecins, selon la relation professionnelle que ces derniers entretiennent avec l’hôpital ou l’autorité en matière de santé.
La plupart des médecins chefs de file sont au courant du modèle basé sur les privilèges qui reconnaît l’indépendance des médecins. Les médecins chefs de file devraient également prendre connaissance des lois et des règlements de leur province ou territoire en matière de renouvellement, de limitation et de retrait des privilèges, ainsi que des procédures associées et habituellement décrites dans les règlements de l’hôpital. Ces procédures identifient généralement la responsabilité du comité de conseil médical (conseil des médecins, dentistes et pharmaciens au Québec) pour examiner les demandes et recommander la nomination ou le renouvellement des privilèges du personnel médical. Le processus de renouvellement de la nomination d’un médecin peut inclure des informations recueillies par des médecins chefs de file.
Le modèle fondé sur les privilèges comporte des processus visant à garantir que les médecins bénéficient de certains droits procéduraux et fondamentaux en matière de modifications de leurs privilèges. Par exemple, les médecins ont généralement le droit de ne voir leurs privilèges fondamentalement modifiés sans processus établi selon les règlements de l’hôpital et tel que confirmé par les tribunaux. L’ACPM assiste généralement les membres dont les privilèges hospitaliers sont menacés ou révoqués en s’assurant qu’ils bénéficient d’une équité procédurale appropriée.
À mesure que la relation médecin-hôpital évolue, les privilèges des médecins sont remplacés dans certains cas par des arrangements contractuels ou des contrats d’emploi entre médecins et hôpitaux. Les dispositifs de protection procédurale garantis par les règlements de l’hôpital en matière de privilèges pourraient ne pas nécessairement s’étendre à des médecins qui exercent dans d’autres arrangements de pratique, y compris ceux sous contrat avec un hôpital. Certains contrats peuvent toutefois contenir des clauses concernant la résolution des conflits.
Plaintes
Les plaintes intrahospitalières concernant les médecins sont généralement liées à trois problèmes : les soins prodigués; la communication et la conduite face aux patients, à l’équipe soignante, ou à l’administration; et les difficultés à communiquer avec le médecin. Un médecin peut faire l’objet d’une plainte intentée par les patients, les familles, l’administration de l’hôpital ou d’autres professionnels de la santé. Il est fréquent qu’une plainte soit déposée par un patient qui, à la suite d’un certain nombre de faux pas commis par une ou plusieurs personnes, gardera une image négative de l’hôpital et de la qualité globale des soins reçus.
Les médecins chefs de file devraient connaître les protocoles de leur organisation en matière de réception et de traitement des plaintes, tels que décrits dans les règlements de l’établissement ou de l’autorité en matière de santé. Ils peuvent différer de manière importante selon la province ou le territoire, ou encore selon l’établissement lui-même. Les plaintes déposées par un membre du personnel hospitalier à l’endroit d’un médecin peuvent être soumises à la législation sur l’emploi et pourraient être associées à une procédure de grief d’un syndicat.
Une plainte contre un médecin peut conduire l’hôpital à imposer des sanctions contre le médecin, telles qu’une limitation, une suspension ou un retrait de ses privilèges. Les médecins chefs de file devraient s’efforcer de s’assurer que les processus stipulés dans les règlements de l’hôpital sont suivis et que les médecins bénéficient de droits spécifiques, y compris :
- avis d’une plainte et divulgation complète des documents pertinents;
- capacité à répondre à une plainte;
- audience sur la question;
- possibilité d’obtenir des conseils et la représentation d’un avocat;
- capacité de présenter des preuves et d’interroger ou de contre-interroger les témoins;
- arbitre impartial;
- décision rendue dans des délais raisonnables;
- résolutions raisonnables, y compris sanctions proportionnelles;
- justification écrite de toute décision;
- droit d’interjeter appel.
Que l’instance soit rejetée ou conduise à des procédures administratives, l’hôpital n’a pas le droit de résoudre une plainte visant un médecin sans que ce dernier n’en soit informé.
Lorsqu’une plainte déposée par un patient mène à une mesure disciplinaire ou une modification des privilèges d’un médecin, l’administration de l’hôpital (à l’exception du médecin chef de file) a la responsabilité de communiquer au patient les résultats de l’enquête et les mesures prises. Les médecins chefs de file peuvent soutenir le médecin concerné en recommandant des ressources de formation professionnelle dans des domaines comme la communication, le transfert de soins, la gestion des conflits ou du stress.
Les possibles sanctions résultant des plaintes devraient également être détaillées dans les contrats, le cas échéant.
Les hôpitaux utilisent de plus en plus des modes amiables de règlement des litiges pour traiter les plaintes. L’ACPM soutient ces processus à la condition que les parties y consentent et qu’ils soient mis en œuvre sans préjudice. (L’expression « sans préjudice » signifie que les informations présentées ou discutées lors d’un règlement à l’amiable des litiges ne peuvent être utilisées en dehors du processus sans l’autorisation expresse des parties.) Les médecins chefs de file doivent contribuer à maintenir la confidentialité des informations divulguées lors d’un processus d’arbitrage et de médiation.
Communiquer l’information aux Collèges
Les lois et règlements de la plupart des provinces et territoires du Canada exigent que les hôpitaux avisent les organismes de réglementation de la médecine (Collège) lorsque des médecins sont suspendus ou que leur pouvoir d’hospitaliser, de traiter ou de soigner des patients a été retiré ou modifié en raison d’une incompétence, de négligence, de faute professionnelle ou d’une inconduite. Les lois exigent généralement que le Collège soit avisé d’une démission d’un médecin au cours d’une enquête pour des allégations d’incompétence, de négligence, de faute professionnelle ou d’inconduite.
L’ACPM recommande que les renseignements relatifs au médecin ne soient divulgués au Collège que lorsque la loi l’exige ou lorsque le médecin autorise cette divulgation ou encore lorsque cette divulgation est nécessaire pour assurer la sécurité des patients.
Documentation
Les médecins chefs de file devraient documenter les décisions et actions qui reflètent l’exécution des règlements et processus de leur établissement : entre autres, les décisions et actions en matière d’administration, de coordination des services professionnels, de l’assurance qualité, des plaintes et du développement professionnel des médecins.
Il n’est généralement pas approprié de documenter des préoccupations sur la conduite d’un médecin dans le dossier médical d’un patient, mais plutôt dans le dossier du professionnel de l’hôpital.
Évaluations régulières du rendement des médecins
Il est fréquent d’exiger que les médecins soient soumis à des évaluations de leur rendement et à des évaluations par les pairs5 pour maintenir leurs privilèges hospitaliers et améliorer leurs pratiques. Ainsi, l’évaluation par les pairs peut se présenter sous la forme de la rétroaction omnidirectionnelle (« 360° ») qui comporte une auto-évaluation et la rétroaction de collègues, d’autres professionnels de la santé et des administrateurs. Les médecins chefs de file ont également un rôle important à jouer dans l’évaluation du rendement et l’évaluation par les pairs d’un médecin.
Les médecins chefs de file devraient connaître les processus d’évaluation du rendement propres à leur établissement et contribuer à garantir que les évaluations et informations connexes sont traitées de manière appropriée. Lorsqu’un plan de formation pour un médecin s’impose, l’établissement devrait soutenir les engagements pris.
Pour dissiper les préoccupations que certains médecins pourraient avoir concernant l’utilisation possible des informations recueillies lors du processus d’évaluation, les médecins chefs de file peuvent faire part des avantages de telles évaluations, comme l’amélioration de la qualité des soins et de l’environnement du lieu de travail. Les médecins chefs de file souhaitent également protéger la confidentialité des renseignements en s’assurant que les documents soumis à l’évaluation par les pairs ne soient échangés que dans le cadre de ce processus d’évaluation ou lorsque la loi l’exige.
Des évaluations régulières du rendement des médecins n’ont pas pour objet de gérer les questions de responsabilité, de discipline ou encore de privilèges. Ces questions devraient être abordées dans le cadre d’un processus distinct. Une évaluation distincte de la responsabilité d’un médecin devrait être menée lorsque l’évaluation du rendement de ce dernier met en évidence qu’il est, ou qu’il serait, à l’origine d’un préjudice pour un patient.
Professionnalisme et comportement perturbateur
Même si très peu de médecins manifestent régulièrement des comportements perturbateurs, ces comportements peuvent avoir de graves conséquences tant sur les patients et leur famille, que sur d’autres médecins et professionnels de la santé et sur le milieu de travail.
L’ACPM partage le point de vue préconisé par la plupart des partenaires du milieu de la santé que les comportements perturbateurs manifestés par des médecins devraient être abordés par l’établissement où ces comportements se manifestent. Les établissements de santé sont bien placés pour traiter ces questions étant donné leur connaissance de la situation, du milieu de travail et des personnes concernées.
Les médecins chefs de file jouent un rôle essentiel dans les cas de comportement perturbateur des médecins au sein de leur établissement. Ils peuvent favoriser une culture du respect et traiter le comportement perturbateur en établissant des attentes claires, en déterminant un comportement professionnel exemplaire, et en soulignant les valeurs et comportements positifs dans toute l’organisation. Il existe des moyens pour aborder ces comportements avant qu’ils ne s’enracinent, puisque ceux-ci peuvent se manifester tôt dans la carrière d’un médecin. À cette fin, les médecins chefs de file devraient non seulement définir leurs attentes en matière de comportement professionnel et en faire part aux résidents et professeurs tout en les avisant des conséquences claires et graduelles du non-respect de ces attentes.
Les médecins chefs de file, tout comme les autres médecins et professionnels de la santé, devraient être sensibilisés aux conséquences des comportements perturbateurs. Une formation particulière sur le travail en équipe, les habiletés de communication ou la résolution des conflits peut être bénéfique. Les médecins chefs de file devraient jouer un rôle de surveillance du comportement des médecins, ce qui comprend notamment de conduire des évaluations ou des enquêtes sur le personnel permanent, des évaluations sur les membres d’équipes, ainsi qu’une observation et un suivi directs.
Approches pour gérer les comportements perturbateurs
Les médecins chefs de file devraient prôner un processus équitable, sécuritaire et efficace pour gérer les comportements perturbateurs au sein de leur organisation.
Lorsqu’ils prennent connaissance d’un comportement perturbateur, les médecins chefs de file doivent entreprendre des démarches appropriées pour le résoudre. Ils devraient avoir pour objectifs de gérer la situation, d’aider le médecin à améliorer son comportement, de diminuer le risque de conséquences médico-légales, d’améliorer le milieu de travail et d’atténuer les possibles retombées négatives sur la profession médicale en général. Les médecins chefs de file confrontés à des cas de comportements perturbateurs devraient utiliser une approche mesurée avec pour objectifs d’éduquer et d’améliorer le comportement et, le cas échéant, de permettre au médecin de continuer d’exercer par le biais de mesures de remédiation plutôt que de mesures punitives.
Une conversation informelle entre le médecin concerné et son superviseur constitue la meilleure approche pour aborder les problèmes de comportement isolés et mineurs. À l’inverse, des comportements perturbateurs répétés peuvent nécessiter l’intervention du médecin chef de file, y compris la communication d’attentes claires en matière de changement de comportement et la documentation de l’intervention dans le dossier du professionnel. Les médecins chefs de file devraient chercher à comprendre les facteurs contributifs des comportements perturbateurs. L’évaluation des médecins manifestant ce type de comportement peut mettre à jour des problèmes personnels qui pourraient requérir du counseling ou d’autres formes d’assistance. À la condition d’être offertes rapidement, des stratégies de soutien comme la formation continue sur le professionnalisme en médecine, sont susceptibles d’entraîner des changements positifs.
Si le comportement perturbateur persiste, le médecin chef de file peut décider de porter l’intervention à un niveau supérieur et devrait, dans ce cas, documenter les raisons de sa décision. Les médecins incapables de modifier ou d’améliorer leur comportement peuvent alors faire face à une mesure disciplinaire6.
Au niveau de l’établissement, une évaluation du milieu de travail où se produit le comportement perturbateur devrait être menée. Ce type d’évaluation peut révéler les facteurs contributifs ou déclencheurs tels que les questions liées aux ressources humaines, financières ou informationnelles, aux charges de travail excessives, au manque d’engagement dans le processus décisionnel et aux intérêts divergents. Les efforts pour gérer ces questions aideront l’ensemble des employés de l’organisation.
Les médecins chefs de file ont besoin de prévoyance et d’outils pour les aider à éliminer les comportements perturbateurs. Les médecins chefs de file chevronnés devraient cultiver une culture du respect et de la sécurité qui comprend de fournir régulièrement de la rétroaction aux membres du personnel médical. Même si un esprit de collégialité et de respect mutuel ne peut être imposé, les médecins chefs de file peuvent communiquer un message fort sur l’importance du professionnalisme médical. Ils peuvent se soutenir et souligner l’importance d’attentes et de normes claires7. Le document de travail de l’ACPM sur les comportements perturbateurs des médecins comporte des recommandations pour aiguiller les médecins chefs de file dans ce domaine.
Signalement des médecins
Les médecins chefs de file devraient connaître les lois et les politiques du Collège de leur province ou territoire, en ce qui a trait au signalement des médecins. La plupart des lois ou politiques exigent des motifs raisonnables de signalement. Les critères peuvent toutefois varier de manière importante selon la province ou le territoire. Les médecins peuvent avoir l’obligation légale ou la responsabilité déontologique de signaler le comportement d’un collègue à un établissement de santé, une agence de santé publique ou un Collège lorsqu’il y a des motifs raisonnables de penser que des patients sont exposés à un risque lié à l’état de santé physique ou mentale de ce médecin ou lorsque la suspension des privilèges ou d’autres restrictions à la pratique ont été imposées. Le défaut de signalement est susceptible d’accroître le risque d’action en justice ou de plainte si ce manquement peut être lié à un incident lié à la sécurité du patient8 qui résulte d’une incapacité, d’un état de santé ou d’un comportement de la part du médecin qui n’ont pas été signalés.
Dans la plupart des cas, il est préférable pour le médecin chef de file d’informer le médecin de la raison pour laquelle le signalement doit être fait, ce qui évite des surprises. Les expressions d’empathie et de soutien envers le collègue peuvent également aider à diminuer la tension. Le signalement devrait être fait en temps opportun, voire immédiatement en cas de préoccupation pour la sécurité des patients, ou lorsque la santé du médecin est compromise.
Résoudre les conflits
Les conflits entre médecins ou avec d’autres membres du personnel peuvent miner le travail d’équipe et avoir des répercussions sur la prestation des soins. Lorsque les médecins chefs de file sont avertis d’un conflit parmi leurs collègues, ils devraient essayer de gérer le problème et recommander des ressources utiles.
Ils devraient continuer de développer leurs compétences en matière de collaboration et mettre en pratique des techniques de prévention et de gestion des conflits. Ils devraient également encourager la formation appropriée d’autres personnes. La meilleure façon de favoriser un milieu de travail positif comportant le moins de conflits possible, que ce soit au sein de l’équipe soignante ou avec les patients, est de faire preuve de respect mutuel et d’encourager cette attitude. Le professionnalisme démontré par les médecins chefs de file devrait servir d’exemple aux autres professionnels de la santé.
Gérer les plaintes dont on hérite
Les principes de justice naturelle et de processus impartial sont tout aussi importants lorsqu’un médecin assume un nouveau rôle de chef de file. C’est pour cette raison que les médecins chefs de file qui débutent et héritent d’un dossier de plaintes devraient envisager d’adopter une approche mesurée.
En règle générale, il devrait y avoir une certaine continuité et cohérence dans la manière dont ces dossiers sont gérés par les cadres de l’établissement. Serait-il juste, par exemple, qu’un nouveau médecin chef de file averti d’une plainte liée au comportement d’un collègue écrive à ce dernier une lettre cinglante sans avoir préalablement déterminé quelles démarches avaient déjà été entreprises par la précédente administration? Dans la plupart des cas, l’approche privilégiée dans ces circonstances est de rassembler l’information existante au sujet de l’incident ou de la plainte, de déterminer quelles actions ont été menées et si l’affaire justifie que l’on poursuive les démarches, puis de prévoir les étapes suivantes et de procéder avec impartialité.
Il en est de même, lorsqu’un nouveau médecin chef de file prend connaissance de problèmes concernant un médecin que l’on suppose d’avoir des comportements perturbateurs depuis de nombreuses années. Si à la suite de ces problèmes, l’administration précédente a choisi de ne pas donner suite aux plaintes contre le médecin, serait-il juste pour le nouveau médecin chef de file de critiquer ou de pénaliser ce médecin pour des comportements antérieurs en l’absence de nouvelle plainte?
Sans nouvelle plainte, une sanction immédiate fondée sur des plaintes antérieures non traitées ne constituerait pas un processus impartial. Sans effort pour résoudre les plaintes antérieures, le médecin n’a pas eu l’occasion d’améliorer son comportement. S’il n’y a pas de nouvelle plainte, mais que le médecin chef de file sait qu’un médecin a fait l’objet de nombreuses plaintes, il pourrait être approprié que le médecin chef de file avise le médecin de cette préoccupation en mentionnant l’historique des comportements. Selon les circonstances, il peut être approprié d’informer le médecin que son comportement n’est pas acceptable et que des mesures disciplinaires pourraient être prises en cas de récidive. On devrait accorder au médecin ayant des antécédents de plaintes non traitées l’occasion de corriger son comportement.
Si une nouvelle plainte est déposée, il convient de suivre les procédures établies de l’établissement concernant la réponse à apporter à ce type de plainte.
Gérer les incidents liés à la sécurité des patients
Une culture juste en matière de sécurité
Les médecins chefs de file jouent un rôle central dans la construction et le maintien d’une culture juste en matière de sécurité au sein de leur organisation. Dans une culture juste en matière de sécurité des patients, les médecins chefs de file et l’ensemble du personnel sont engagés à fournir les soins les plus sécuritaires possible aux patients et à protéger tant les intérêts des patients que ceux des professionnels de la santé. Une telle culture reconnaît que, même si des erreurs peuvent se produire et les résultats cliniques ne sont pas toujours parfaits, tous les professionnels de la santé doivent travailler de concert pour minimiser les risques.
Les médecins chefs de file doivent s’assurer que des politiques et procédures ciblant des soins sécuritaires sont en place et sont respectées, et devraient encourager les professionnels de la santé à évaluer de manière critique les situations quotidiennes susceptibles de comporter un risque. Ils devraient également reconnaître et tenter d’aborder la question des structures hiérarchiques qui pourraient empêcher certaines personnes d’exercer leur activité de manière sécuritaire.
Leadership lors d’incidents liés à la sécurité des patients
Une culture juste en matière de sécurité repose sur un engagement commun à tirer des leçons des incidents liés à la sécurité des patients. La participation des médecins chefs de file et de l’ensemble du personnel médical est nécessaire pour les évaluations de l’amélioration de la qualité (AQ), qui ciblent les problèmes au niveau du système pour identifier les causes d’incident lié à la sécurité, ainsi que les évaluations de la responsabilité qui ciblent la conduite ou le rendement individuel des professionnels de la santé.
Les médecins chefs de file devraient promouvoir les processus de leur hôpital pour des évaluations bien structurées et s’assurer que des processus distinguent de manière appropriée les démarches liées à la responsabilité de celles en matière d’amélioration de la qualité. La structure et les procédures des comités d’évaluation sont généralement décrites dans les règlements et politiques de l’hôpital et devraient être structurées selon les lois en vigueur dans la province ou le territoire.
Partout au Canada, la loi protège les documents et informations relatifs à l’amélioration de la qualité de toute divulgation dans le cadre d’actions en justice; certaines provinces et certains territoires allant jusqu’à protéger ces informations d’une divulgation lors d’une procédure par un Collège. Ceci signifie que les informations obtenues sur un médecin lors d’une évaluation de l’amélioration de la qualité ne devraient pas être utilisées contre lui lors d’une évaluation de la responsabilité (par ex., lors d’une audience concernant une enquête, des mesures disciplinaires ou les privilèges). Les informations sur un médecin identifié doivent être obtenues de sources distinctes de l’examen de l’amélioration de la qualité.
Les médecins chefs de file devraient s’efforcer d’éviter tout conflit d’intérêts potentiel lorsqu’ils jouent un rôle dans les évaluations annuelles du rendement ou dans les questions de responsabilité ou de discipline, ou encore lors d’évaluation en matière d’amélioration de la qualité mettant en cause des professionnels de la santé qui relèvent d’eux.
Comment les médecins chefs de file peuvent-ils améliorer la qualité?
Pour les organisations du domaine de la santé, l’amélioration de la qualité signifie analyser les préjudices qui découlent de la prestation des soins et mettre en œuvre au niveau du système, les améliorations recommandées en matière de soins des patients et de pratiques cliniques.
Les médecins chefs de file jouent un rôle déterminant pour entretenir une culture de la qualité et atteindre les objectifs d’amélioration de la qualité. Ceci se traduit en aidant les autres professionnels de la santé à prendre part à la prestation de soins sécuritaires et de grande qualité au sein de l’hôpital ou de l’autorité en matière de santé, en proposant des objectifs et des attentes à l’égard de l’amélioration de la qualité, en offrant la possibilité pour le personnel de chercher des solutions et de mettre en œuvre des changements, ainsi que de prendre une part active dans le travail d’amélioration de la qualité. Plus précisément, les médecins chefs de file peuvent envisager les actions suivantes :
- recenser les champions de l’amélioration de la qualité et tirer profit de leur expérience;
- promouvoir l’infrastructure nécessaire à l’amélioration de la qualité, y compris l’utilisation des technologies de l’information;
- préconiser la collecte et la diffusion de données agrégées pertinentes aux médecins et à l’amélioration de la qualité, telles que les taux de vaccination, les dépistages annuels et la satisfaction des patients;
- inclure les responsabilités en matière d’amélioration de la qualité dans les descriptions de poste des médecins, le cas échéant;
- inclure les indicateurs d’amélioration de la qualité de manière instructive et positive dans les évaluations de rendement des médecins;
- préconiser d’offrir une rémunération ou d’autres avantages aux médecins qui participent à des activités d’amélioration de la qualité;
- préconiser et mettre l’accent sur les avantages de l’amélioration de la qualité et de sa mise en œuvre.
Conseils et assistance de l’ACPM
L’ACPM surveille les changements au niveau des lois et des milieux de pratique, ainsi que l’évolution des modèles de leadership. L’ACPM est prête à discuter et à offrir aux médecins chefs de file des conseils d’ordre général sur les questions médico-légales et sur toute question portant sur les médecins membres. Toutefois, les cas particuliers concernant d’autres membres ne sont pas discutés.
Les médecins chefs de file devraient s’assurer qu’ils ont la protection en matière de responsabilité appropriée pour le rôle précis qu’ils jouent au sein de leur établissement, y compris une protection en matière de responsabilité fournie par l’hôpital ou l’autorité régionale en matière de santé.
Références
- Association médicale canadienne, « Code de déontologie de l’AMC » (2004). Consulté le 19 février 2015. https://www.cma.ca/Fr/Pages/code-of-ethics.aspx
- Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, Cadre des compétences CanMEDS (2005). Consulté le 19 février 2015. http://www.royalcollege.ca/portal/page/portal/rc/canmeds/framework
- Le Collège des médecins de famille du Canada, Rôles CanMEDS - Médecine familiale (2009). Consulté le 19 février 2015. http://www.cfpc.ca/uploadedFiles/Education/CanMeds%20FM%20Final%20FR%20oct%2009.pdf
- Aux fins du présent document, le terme « équité procédurale » fait référence au concept juridique selon lequel les procédures administratives devraient être effectuées de manière équitable pour toutes les parties en cause. Bien que l'étendue de l'équité varie selon la nature des procédures, les parties en cause doivent au moins avoir une juste possibilité de participer aux procédures. Cela inclut de donner aux parties un préavis de la tenue des procédures et la capacité de répondre à tout argument ou élément de preuve préjudiciable.
- Aux fins du présent, le terme « évaluation par les pairs » fait référence à une évaluation effectuée de manière rétrospective par des pairs, ou des experts en la matière, ou par une personne ou un groupe se penchant sur des indicateurs précis de la qualité des soins.
- Gerald B. Hickson, James W. Pichert, « One step in promoting patient safety: Addressing disruptive behaviour », Physician Insurer (2010), 4e trimestre : 40-43.
- Luis T. Sanchez, « Disruptive behaviours among physicians », JAMA (2014), 312 (21) : 2209-2210. doi:10.1001/jama.2014.10218. Publié en ligne le 3 décembre 2014.
- L’Organisation mondiale de la Santé propose une terminologie afin de faciliter la communication et le partage des enseignements en matière de sécurité des patients à l’échelle internationale (World Alliance for Safer Health Care, More than words : conceptual framework for the international classification for Patient safety, Organisation mondiale de la Santé, 2009); l’Institut canadien pour la sécurité des patients (ICSP) a adopté certains termes de cette terminologie. Par souci de clarté et d’uniformité, l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) utilise maintenant les termes suivants de l’ICSP :
- Incident lié à la sécurité du patient : un événement ou une circonstance qui aurait pu entraîner, ou qui a entraîné un préjudice superflu à un patient.
- Incident préjudiciable : un incident lié à la sécurité des patients qui a causé un préjudice au patient. Remplace l’expression « événement indésirable » et « événement sentinelle ».
- Incident sans préjudice : un incident lié à la sécurité d’un patient qui a atteint le patient sans toutefois entraîner de préjudice discernable.
- Incident évité de justesse : un incident lié à la sécurité d’un patient qui n’a pas atteint le patient. Remplace l’expression « accident évité de justesse ».
Au Québec, les termes « accident » et « incident » sont définis dans la législation en vigueur. Cependant, aucun de ces termes ne correspond parfaitement à la terminologie de l’OMS. En droit québécois, un « accident » désigne une « action ou situation où le risque se réalise et est, ou pourrait être, à l’origine de conséquences sur l’état de santé ou le bien-être de l’usager, du personnel, d’un professionnel concerné ou d’un tiers » (Québec, Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ c S-4.2, art. 8). Le terme « incident » quant à lui désigne « une action ou une situation qui n’entraîne pas de conséquence sur l’état de santé ou le bien-être d’un usager, du personnel, d’un professionnel concerné ou d’un tiers, mais dont le résultat est inhabituel et qui, en d’autres occasions, pourrait entraîner des conséquences » (Québec, Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ c S-4.2, art. 183.2). Selon l’interprétation de l’ACPM de la législation en vigueur au Québec, le terme « accident » correspondrait à l’expression « incident préjudiciable » de l’OMS, tandis que le terme « incident » correspondrait aux expressions « incident sans préjudice » et « incident évité de justesse ».