En bref
- Lorsque vous émettez des commentaires ou opinions cliniques en sachant ou en ayant dû savoir que d’autres personnes s’y fieront probablement pour prendre des décisions concernant les soins à prodiguer, il se pourrait que vous ayez un devoir de diligence envers la personne soignée − même si vous n’avez jamais vu cette dernière.
- Si vous discutez de façon informelle avec une ou un collègue en personne ou à l’aide de tout autre moyen de communication, vous risquez de faire l’objet d’une action en justice ou d’une plainte au Collège, et ce, même si vous n’évaluez pas directement la personne qui recevra les soins en question.
- Avant de donner un conseil médical sur tout canal de communication, assurez-vous d’avoir suffisamment de renseignements pertinents au sujet de la personne soignée et de disposer de tous les faits cliniques : posez des questions, prenez connaissance de tout document connexe ou demandez à voir la personne avant de donner votre opinion.
Étude de cas : Fracture ouverte non diagnostiquée chez une enfant
Une jeune fille de 11 ans arrive à l’urgence pour une fracture du radius et du cubitus avec déplacement minime. Elle a aussi une petite plaie punctiforme à l’avant-bras. L’urgentologue montre les radiographies à l’orthopédiste de garde, qui se trouve dans le service pour voir une autre personne sous ses soins. L’orthopédiste examine les radiographies, mais sans recevoir les autres détails pertinents sur l’enfant et sans poser plus de questions. Puisque l’alignement lui semble acceptable et croyant que la plaie n’est qu’une abrasion, l’orthopédiste conseille à l’urgentologue de panser la plaie, de plâtrer le bras et d’effectuer un suivi clinique dans une semaine. Hormis la consultation des radiographies, aucune évaluation n’est faite de l’enfant et aucune autre partie de son dossier n’est consultée.
La plaie, en fait, est une constatation importante; il s’agit du résultat d’une fracture ouverte. L’enfant présente par la suite une infection, un syndrome du compartiment et une nécrose des tissus. Sa famille intente une action en justice et dépose également une plainte auprès du Collège contre l’urgentologue et l’orthopédiste.
N’ayant pas vu l’enfant, l’orthopédiste a de la difficulté à accepter quelque responsabilité que ce soit dans ce dossier. Toutefois, le tribunal conclut qu’un devoir de diligence devait effectivement être établi envers la jeune patiente puisque l’orthopédiste avait accepté de discuter de son cas avec l’urgentologue, avait examiné les radiographies et avait émis une opinion sur les soins, en sachant ou en ayant dû savoir que l’urgentologue s’y fierait pour déterminer le traitement approprié.
Ce que disent les tribunaux sur le devoir de diligence
La question de savoir si un devoir de diligence est établi ne peut être tranchée par les tribunaux qu’après examen des faits de chaque cas. On constate le plus souvent qu’il existe un devoir de diligence lorsqu’une relation thérapeutique traditionnelle est établie. Toutefois, les médecins peuvent aussi avoir l’obligation de donner des conseils appropriés, conformément à la norme de pratique applicable, dans des circonstances allant au-delà de cette relation traditionnelle. Au moins un tribunal canadien (dans Crawford v Penney) a laissé entendre qu’on peut avoir un devoir de diligence, même sans avoir vu la personne soignée ou interagi directement avec celle-ci; p. ex. si l’on prodigue des conseils à une ou un collègue au cours d’une discussion de couloir informelle.
Pour déterminer s’il existe un devoir de diligence dans de telles circonstances, il faut vérifier si les médecins savaient ou auraient dû savoir si les conseils fournis serviraient à prendre une décision clinique au sujet des soins. Dans le cas de l’enfant qui s’est fracturé le bras, le tribunal a conclu que l’orthopédiste avait un devoir de diligence, en partie parce qu’elle savait, ou aurait dû savoir, que l’urgentologue tiendrait compte de ses conseils et recommandations dans ces circonstances.
Si le tribunal conclut que la ou le médecin qui a donné son avis a un devoir de diligence envers la personne soignée, il doit ensuite déterminer si la norme de pratique applicable a été respectée au moment où des conseils à l’égard des soins ont été prodigués. Cette norme sera déterminée par le tribunal en fonction des pratiques reconnues de la profession au moment en question.
L’une des façons d’établir si la norme de pratique a été respectée consiste, pour les tribunaux, à déterminer si la ou le médecin disposait de suffisamment d’information pour se prononcer sur un diagnostic possible. Dans le cas de la jeune fille, le Collège a constaté que, malgré l’examen des radiographies, les conseils prodigués par l’orthopédiste étaient fondés sur des renseignements limités. Les autres données cliniquement pertinentes n’avaient pas été consultées, comme l’anamnèse, les détails de l’accident ou les blessures présentes au moment de l’arrivée de l’enfant à l’urgence.
Il importe de s’assurer que l’on dispose d’information suffisante avant de se prononcer ou d’émettre une opinion clinique sur le diagnostic ou les options de traitement d’une personne, étant donné que quelqu’un d’autre pourrait s’y fier pour prodiguer un traitement.
Tenue des dossiers
La prestation de conseils lors de « consultations de couloir » est un élément important et nécessaire de la pratique clinique et de la qualité des soins. Mais lorsque vous accordez de tels conseils ou consultations, vous devez tenir compte du fait que vous avez peut-être un devoir de diligence envers la personne soignée − même si vous n’avez pas vu cette dernière.
Si vous donnez votre opinion, faites des efforts raisonnables pour consigner toute information et tout conseil que vous avez donné. Bien que, dans certains cas, les médecins puissent être limités par des facteurs particuliers (patientes ou patients dont le nom est inconnu, dossier médical inaccessible), l’hôpital ou l’établissement pourrait disposer de politiques ou de protocoles pour la tenue de dossiers dans de telles circonstances.